Les fractures territoriales au Brésil (1/2)
Au Brésil, il est de coutume de distinguer entre Sud-Est (Sudeste) et Nord-Est (Nordeste). Cette dichotomie tient moins à des critères géographiques ou géologiques qu’aux stades de développement très clivés que l’on constate lors de la comparaison de ces ensembles. La géographie électorale de la récente élection présidentielle recoupe et souligne cette opposition, avec un « grand Nord » largement acquis au parti des travailleurs (PT, issu dans les années 80 de mouvements syndicaux) de Dilma Roussef, à opposer à « l’étroit Sud » géographique – mais majeur démographiquement parlant – plébiscitant lui Aecio Neves du PSDB (centre-droit). Qu’est-ce qui explique, dans l’Histoire d’un Brésil encore récent, une telle fracture ?
L’explication centrale semble être liée à l’histoire économique du pays. Avant son indépendance proclamée en 1822, le pays est demeuré trois siècles durant, à compter de sa découverte par Cabral en 1500, la principale colonie portugaise. Dans une logique centre/périphérie, ces territoires sont alors façonnés et exploités de manière à satisfaire les besoins de la métropole portugaise, essentiellement à travers la mise en valeur de ressources naturelles. C’est d’abord le cas du bois, notamment un bois précieux, le pau brasil, qui donne son nom au pays, puis, avec l’essor du commerce triangulaire, l’exploitation de la canne à sucre dans le nord-est du pays devient rapidement l’activité principale et le demeure jusqu’à la fin du XVIIème siècle. Le centre névralgique du pays est alors le littoral Nordestin – l’Etat de Bahia jusqu’au Pernambouc et la ville de Natal – et la capitale Salvador de Bahia.
A la fin du XVIIème, de nombreuses expéditions – les bandeiras, souvent parties de Sao Paulo – permettent aux colons portugais de découvrir de nombreux gisements d’or et d’en commencer l’exploitation dans la région qui prend alors le nom de Minas Gerais (les Mines générales). Le centre de gravité du pays bascule alors, les esclaves passent des champs au mines et l’ensemble du XVIIème siècle est marqué par un rééquilibrage du pays autour des gisements aurifères, mouvement qu’entérine le changement de capitale, qui en 1763 s’établit à Rio de Janeiro, principal port d’évacuation des minerais exploités dans la région voisine.
Le pays s’organise ainsi au cours du temps en fonction de cycles économiques recoupant les lieux d’exploitation des principales ressources naturelles du pays et façonnant progressivement le territoire. Le dernier grand mouvement est celui du café, qui, importé au Brésil à la fin du XVIIIème connaît son véritable essor au XIXème dans la région de Sao Paulo. Politique et économie se rencontrent alors puisque le XIXème siècle est le siècle de l’indépendance du pays (1822). Aidée par les Anglais dans sa fuite face aux armées napoléoniennes, la famille royale portugaise ouvre en contrepartie le Brésil au commerce mondial et la culture du café est le vecteur par lequel le pays s’intègre progressivement au reste du globe. Une élite locale apparaît alors peu à peu, à cheval entre Sao Paulo, Rio et les capitales européennes, bientôt rejoint à la fin du siècle, à la suite de l’abolition de l’esclavage (1888), par 2 à 4 millions d’européens (italiens et allemands notamment) profitant de l’essor économique du pays. L’empire est aboli en 1889 et jusqu’en 1930 le pays adopte un régime républicain décentralisé, se réclamant du positivisme et calqué sur la IIIème République française. Le syndicalisme et les divers courants politiques européens pénètrent progressivement les vies paulistes et cariocas, les principaux clubs de football actuels voient jours recoupant les différentes communautés immigrées.
L’actuelle prédominance du Sud s’explique donc par le concours de circonstances selon lequel les contextes nationaux (Sud caféier) et internationaux (ouverture au commerce mondial) ont fixé, jusqu’à aujourd’hui, le centre de la vie économique et culturelle dans la partie méridionale du pays. Néanmoins, le tableau ne saurait être complet sans mention faite des tentatives de rééquilibrage des XIX et XXème siècle ainsi que de l’autre grand axe structurant du pays qu’est l’opposition entre un littoral densément anthropisé et un intérieur encore largement dédaigné.